11 May 2023 - 12 May 2023
Multiplier l’enquête : approches multi-espèces et multi-scalaires en sciences humaines et sociales.
Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris, les 11 et 12 mai 2023.
>> Télécharger le programme complet
APPEL
La Fédération F3S a pour vocation de réunir les chercheur.ses en sciences humaines et sociales autour de problématiques sociales, environnementales et politiques. Pour cela, elle fait le pari du dialogue interdisciplinaire, offrant ainsi un cadre propice à l’analyse de la complexité des interactions entre des sociétés et leurs environnements. Dans les discussions scientifiques actuelles, cette complexité est notamment abordée à travers la prise en considération de la multiplicité des existants et des niveaux de leurs interactions.
Ces dernières décennies, la manière de concevoir ces existants s’est transformée grâce à la prise en compte de la profondeur de leurs interactions – « chacun a la capacité de faire agir l’autre et de transformer ses manières de faire » (Manceron, 2016, p.289). C’est également une nouvelle manière de penser la façon dont ces interactions et leurs interdépendances s’articulent sur des niveaux divers (du local au global, du quotidien à l’épiphénomène), à l’instar de Frédéric Keck (2020), de Samir Boumediene (2016) ou d’Anna Tsing (2017). Par exemple, les travaux de Keck (2020) s’intéressant à la crise sanitaire qu’a engendrée le virus de la COVID 19 montrent à quel point la recherche multi-espèces se trouve étroitement liée à la recherche multi-scalaire : elle mène non seulement à multiplier les lieux d’observation, mais aussi à déplacer la focale du microscopique à l’observation des conséquences de la prolifération du virus sur plusieurs continents.
Dans le sillage des exemples évoqués plus haut, ce colloque aura pour objectif d’examiner comment les doctorant.es de la F3S se saisissent de la perspective multi-espèces et/ou multi-scalaire sur leurs terrains aux Suds.
AXE I : « RECHERCHES MULTIESPECES»
Les sciences sociales ont dès le XIXe siècle porté leur attention sur le rapport entre l’humain et son milieu (Feuerhahn, 2017) et particulièrement dans les sociétés dites traditionnelles où les modes de vie étaient intimement liés aux activités de subsistance, telles que le pastoralisme, l’horticulture, la chasse ou la cueillette (Manceron, 2016). C’est à partir des années 1990 que des chercheur.ses vont inclure dans leurs analyses d’autres espèces et de manière plus large d’autres entités que des sujets humains. Plusieurs courants ont tenté de s’abstraire du dualisme Nature/Culture telle que l’écologie symbolique proposée par Philippe Descola, qui redessine les frontières entre humains et non-humains (2005), l’ontologie de « l’être-au-monde » portée par Tim Ingold avec son concept de « l’inter-agentivité » (2012) ou encore le perspectivisme d’Eduardo Viveiros de Castro (2014).
Dans la lignée de ces travaux, et en dialogue avec des œuvres fondatrices qui reviennent sur la biologie et l’écologie de différentes espèces dans leurs relations entre elles et à leur milieu (Von Uexküll, 1921), l’ethnographie multi-espèces est portée depuis les années 2000 par des anthropologues, philosophes, artistes, géographes et sociologues. Ils cherchent eux aussi à dépasser l’anthropocentrisme épistémologique de leurs disciplines, et à replacer l’agentivité des autres qu’humains au cœur de la compréhension des collectifs.
Les enquêtes multiespèces posent de nombreuses questions (tant aux niveaux méthodologique et éthique que sur le plan de leurs limites ontologiques) que nous proposons aux doctorant.es de la F3S d’explorer avec nous. Les intervenant.es pourront proposer, au travers de la présentation de leurs terrains d’étude :
– une réflexion sur la diversité des méthodes employées pour restituer l’agentivité des existant.es autres qu’humains et pour décrire la complexité de leurs relations aux humains (comme ont pu le faire dans leurs travaux notamment Manceron, 2016 ; Despret, 2015 ; Krief & Brunois-Pasina, 2017 ; Artaud, 2018 ; Stepanoff, 2017), ainsi qu’une réflexion sur la nature de ces méthodes (emprunts disciplinaires au sein des SHS, au monde de l’art, etc.) (Petitt, 2022; Stepanoff & Vigne, 2018; Elliott & Culhane, 2017; Artaud 2013, 2019).
– une réflexion sur les questionnements épistémiques et éthiques que ces recherches engagent (Ogden & al, 2017 ; Kirksey & Helmreich, 2010 ; Kohn, 2007 ; Tsing, 2017).
– une réflexion sur la politisation des relations multiespèces, c’est-à-dire aussi bien la manière dont ces relations sont faites de rapports de pouvoir, de négociations, de conflits entre humains et autres qu’humains (Ernwein & Tollis, 2017 ; Chao, 2021 ; Enders & Lauser, 2011), que la manière dont elles deviennent des enjeux politiques contemporains au sein de certains collectifs humains, participant de leur organisation (Stepanoff, 2021).
– une réflexion sur ce qui se trouve en marge des concepts « d’espèces » et de « vivant », en faisant varier les échelles (du macro au micro) et en déplaçant la focale vers d’autres conceptions du vivant (un écosystème, un lieu, un sol peuvent être conçus comme tels). Il peut s’agir également d’une réflexion sur l’agentivité attribuée aux artefacts, considérant que la notion de « vivant » est une construction sociale (comme peut le faire Mauzé, 2019).
AXE II : « RECHERCHES MULTISCALAIRES »
À l’heure actuelle, la complexité des crises (environnementales, sociales, économiques et politiques) sollicite l’inventivité des chercheur.ses pour penser de nouvelles manières de relier des phénomènes et des niveaux d’analyse. L’émergence de l’approche « multiscalaire » nous invite à penser à diverses échelles et à naviguer autour de ces enjeux. En anthropologie, plusieurs approches ethnographiques permettent d’appréhender la notion d’échelle. L’« arène » a servi longtemps, dans une dimension analytique des acteurs, à comprendre la structure « où ont lieu les événements qui affectent de la façon la plus extrême les vies [des] membres [de la société] » (Geertz, 1983). Jean-Pierre Olivier De Sardan définit la notion d’arène comme le lieu « où des groupes stratégiques hétérogènes s’affrontent, mus par des intérêts (matériels ou symboliques) plus ou moins compatibles » (de Sardan, 1993). Ensuite, Marcus propose la notion d’ethnographie « multi-située » autour de chaînes, de chemins, de fils, de conjonctions ou de juxtapositions de lieux dans lesquels l’ethnologue établit une certaine forme de présence littérale et physique, avec une logique explicite et posée d’association ou de connexion entre les sites (Marcus, 1995). Plus récemment, le concept de l’approche multiscalaire a été développé par Kris Peterson et Valerie Olson (University of California Irvine). Dans leur ouvrage The Ethnographer’s Way : Research Design Otherwise (à paraître aux Presses Universitaires de Duke, dans la collection Experimental Futures), ces derniers appellent la « mise à l’échelle » comme un processus d’imbrication de différents domaines et dimensions savantes et empiriques.
Le but de cet axe consiste à rassembler des approches afin de questionner à la fois les manières de s’approprier ces concepts et comment les appliquer dans diverses disciplines. Il s’agit de questionner les expériences ethnographiques des chercheur.ses face à la complexité des terrains aux Suds, en tenant compte de l’imbrication des échelles des savoirs, des acteurs, des lois et des technologies dans un contexte de mondialisation, où la circulation des méthodes s’accélère.
Les réflexions et terrains d’études présentés pourront s’articuler, de manière non-exhaustive, autour des thèmes suivants :
— Qu’est-ce que la méthode multi-scalaire apporte à nos recherches ? Est-elle indispensable ? Dans quels types de sujets son recours est-il pertinent ?
— Quelles sont les tensions entre des régimes juridiques et légaux à différentes échelles ? Par exemple, la confrontation nationale et internationale d’un cadre acté et écrit.
— Comment l’éthique des chercheur.ses entre en jeu, s’adapte ou se modifie selon les niveaux des échelles dans lesquelles elle doit se déployer ?
Les réflexions proposées pour ce colloque pourront porter sur l’un de ces axes, ou sur les liens entre ces deux axes.
Comité d’organisation
- Alexandre Badiane (PALOC – MNHN)
- Jordie Blanc Ansari (CREDA – Paris III USN)
- Lorena Cisneros (PALOC – MNHN)
- Léa Lydie De Bruycker (PALOC – MNHN)
- Fernando Garlin Politis (CEPED – IRD)
- Ilyass Mahamat Nour Moussa (CEPED – IRD)
- Laurie Vandevelde (LAS – EHESS)
- Colin Vanlaer (PALOC – MNHN)
- Marie Vesco (CREDA – Paris III USN)
- Lucile Wittersheim (PALOC – MNHN)
Comité scientifique
- Hélène Artaud (PALOC – MNHN)
- Denis Chartier (LADYSS – Université de Paris) (Sous réserve)
- Frédérick Keck (LAS – EHESS)
- Vanessa Manceron (LESC – CNRS)
- Mélanie Roustan (PALOC – MNHN)
- Emilia Sanabria (CERMES 3 – CNRS) (Sous réserve)
- Charles Stépanoff (LAS – EHESS)
Calendrier et informations pratiques
La manifestation se déroulera les 11 et 12 mai 2023 à Paris.
Les langues de travail du colloque sont le français, l’anglais et l’espagnol.
Les propositions de communication, de maximum 1 page, devront résumer l’objet de la communication (titre, sujet, problématique et éventuelles hypothèses, terrain(s) et/ou corpus, méthode d’enquête et résultats de recherche). Les propositions doivent être rédigées dans la langue prévue pour la communication.
Elles seront adressées pour le 15 janvier 2023 au plus tard à . Les propositions de communication sont à envoyer en un seul fichier PDF nommé de la façon suivante: 2023_NOMdel’auteur.e (ex : 2023_DUPONT.pdf)
Les participant.es seront sélectionné.es, après avis du comité scientifique, sur la base des résumés. Une notification d’acceptation sera envoyée fin janvier 2023. Celle-ci précisera les modalités d’inscription au CODOFE.
Le colloque est organisé par la Fédération Science Sociale Sud, le Muséum National d’Histoire Naturelle (UMR PALOC), l’Université Sorbonne Nouvelle (UMR CREDA) et l’Université de Paris (UMR CEPED).
Bibliographie :
ARTAUD Hélène
-
(2019). « Piéger la rencontre », L’art du leurre, Billebaude, Tome 16, pp.48-56.
-
(2018). Poïétique des flots. Une anthropologie sensible de la mer dans le banc d’Arguin (Mauritanie), Pétra, Paris.
-
(ed.) (2013). « Leurrer la nature », Cahiers d’Anthropologie Sociale, n°9, L’Herne, Paris.
BLANC Guillaume, DEMEULENAERE Elise et FEUERHAHN Wolf (2017). Humanités environnementales : enquêtes et contre-enquêtes, Publications de la Sorbonne, Paris.
CHAO Sophie (2021). The Beetle or the Bug: Multispecies Biopolitics in a West Papuan Oil Palm Plantation. American Anthropologist, vol.123, n°3, pp.476-489.
DELAPORTE Yves (2002). Le regard de l’éleveur de rennes, Laponie norvégienne : essai d’anthropologie cognitive, Peeters, Louvain ; Paris ; Sterling.
DESCOLA Philippe (2005). Par delà nature et culture, Gallimard, Paris, pp. 204-226.
DESPRET Vincianne (2015). Au bonheur des morts. Récits de ceux qui restent, La Découverte, Paris.
ELLIOTT Denielle, CULHANE Dara (2017). A different kind of ethnography – Imaginative practices and creative methodologies, University of Toronto Press, Toronto.
ENDERS Kristen W., LAUSER Andrea (dir) (2011). Engaging the Spirit World: Popular Beliefs and Practices in Modern Southeast Asia, Berghahn Books, Oxford.
ERNWEIN Marion, TOLLIS Claire (2017). “Produire la ville vivante : le travail des citadins et des non-humains”, L’Information géographique, vol.81, pp.13-31. https://doi.org/10.3917/lig.813.0013
ESCOBAR Arturo (2018). Sentir Penser avec la Terre, Editions du Seuil, Paris.
GUDYNAS Eduardo (2014). Derechos de la naturaleza y políticas ambientales, Plural, La Paz.
INGOLD Tim (2012). « Culture, nature et environnement. Vers une écologie de la vie », Revue Tracé, vol.22, pp. 169-187.
JANKOWSKI Frédérique (2011). « Du terrain neutralisé aux espaces négociés. Approche interactionnelle des études éthologiques en milieu naturel », Questions de communication, vol.19, pp.235-253.
KIRKSEY S. Eben, HELMREICH Stefan (2010). « The emergence of multispecies ethnography », Cultural Anthropology, vol. 25, issue 4, pp. 545-577
KOHN Eduardo (2007). « How Dogs Dream: Amazonian Natures and the Politics of Transspecies Engagement », American Ethnologist, vol.34, n°1, pp.3-24.
KRIEF Sabrina, BRUNOIS-PASINA Florence (2017). « L’interspécificité du pharmakôn dans le parc Kibale (Ouganda) : savoirs partagés entre humains et chimpanzés ? », Cahiers d’anthropologie sociale, vol.14, pp.112-134. https://doi.org/10.3917/cas.014.0112
LANDIVAR Diego, RAMILLIEN Emilie (2013). L’économie politique des humains et non humains : nouvelles constitutions politiques en Amérique Latine et reconfigurations ontologiques, Site web clementthomas.com. http://clementthomas.com/wp-content/uploads/2016/07/landivar_ramillien_afep_2013.pdf
LOWENHAUPT TSING Anna (2017). Le champignon de la fin du monde. Sur les possibilités de vivre dans les ruines du capitalisme, La Découverte, Paris.
MANCERON Vanessa (2016). « Exil ou agentivité ? Ce que l’anthropologie fabrique avec les animaux », L’année sociologique, vol. 66, pp. 279-298.
MAUZE Marie (2019). « Pirogues et Cuivres sur la côte Nord-Ouest. Formes et matières animées », Cahier d’anthropologie sociale, vol.19, pp.67-87.
OGDEN Laura, HALL Billy, TANITA Kimiko (2013). « Animals, Plants and People: A Review of Multispecies Ethnography », Environment & Society, vol.4, pp. 5-24.
PETTIT Andrea (2022), « Conceptualizing the multispecies triad: Toward a multispecies intersectionality », Feminist Anthropology. https://doi.org/10.1002/fea2.12099
STEPANOFF Charles
-
(2017). « The rise of reindeer pastoralism in Northern Eurasia: human and animal motivations entangled », Journal of the Royal Anthropological Institute, vol. 23, n°2, pp.376-396.
-
(2021). L’animal et la mort, La Découverte, Paris.
STEPANOFF Charles & VIGNE Jean-Denis (2018). Hybrid Communities: Biosocial Approaches to Domestication and Other Trans-species Relationships, Routledge, Londres.
VIVEIROS DE CASTRO Eduardo (2014). « Perspectivisme et multinaturalisme en Amérique Indigène », Journal des Anthropologues, vol.138-139, pp 161-181.