19 novembre 2018
Journée d’étude dans le cadre de la Fédération Sciences Sociales Suds (F3S)
19 novembre 2018
Organisée par Pierre Guidi (IRD, CEPED) et Isabelle Léglise (CNRS, SeDyL)
SeDyL, Campus CNRS de Paris-Villejuif, salle 511, bâtiment D
9h30 Accueil
10h Niandou Touré (CEPED) « Grounded theory » dans une recherche sur la reproduction sociale par le capital culturel : un exemple de mobilisation de catégories issues du terrain dans l’analyse des trajectoires scolaires des étudiants maliens en France et au Maroc
11h30 Marie-Albane de Suremain (Université Paris Est Créteil, CESSMA) Au croisement de catégories et de situations sociales : enjeux épistémologiques des notions de subalternité et d’intersectionnalité
13h Déjeuner sur place
14h Leti Makalela (University of the Witwatersrand, South Africa) Ubuntu translanguaging: a viable alternative framework for multilingual education and literacies
15h30 Discussion générale
Plan d’accès : http://www.vjf.cnrs.fr/sedyl/venir.php?langue=fr
Prévoir une pièce d’identité et nous prévenir à l’avance de votre participation au séminaire pour que votre entrée sur le campus soit facilitée.
Objet
Les reconfigurations du champ scolaire et de la production des savoirs informent sur les processus de reproduction et de transformation sociale, sur les rôles et places de l’État, autant que sur les rapports de pouvoir Nords-Suds. L’essor de la privatisation de l’éducation et des écoles confessionnelles ou interculturelles, l’intérêt naissant pour les savoirs autochtones ou la mobilité internationale croissante des étudiant.e.s et des chercheur.e.s – pour ne citer que ces exemples – donnent à voir des transformations essentielles affectant la structuration des sociétés et l’articulation des échelles globales, régionales et locales. Parallèlement, dans le contexte mondial globalisé (re)producteur d’asymétries – entre pays des Suds et des Nords, entre populations « subalternisées » et « élites » – la production, circulation et l’accumulation de savoirs sur l’éducation sont des objets de recherche et des outils pour penser à la fois l’intégration à l’échelle mondiale des Etats-nations et les phénomènes d’inclusion et d’exclusion en leur sein.
Pour cette journée, nous souhaitons centrer nos préoccupations sur les perspectives endogènes et l’utilisation des catégories “indigènes”, souvent difficile à mettre au jour en raison du silence des populations concerné.e.s. Des concepts puissants ont néanmoins émergé ces dernières années. Ainsi, le “Buen vivir”, un concept issu de la société “indigène” est actuellement développé comme discours et pratique scolaire en Équateur et en Bolivie. Par ailleurs, des travaux actuels cherchent à porter la notion bantoue d’ “ubuntu” dans l’étude de l’école, à travers les langues. Les langues constituent un accès privilégié aux systèmes de représentations et à la logique des cultures ; l’histoire se pose depuis longtemps la question des catégories “indigènes” pour qualifier les réalités politiques avant la colonisation.
Pour traiter des questions sur l’éducation, les systèmes scolaires, les acteurs de l’école, les langues et savoirs dans les pays dits des Suds, nous discuterons de la construction des catégories d’analyse. Les courants anglo-saxons, souvent mal accueillis en France, comme les Indigenous Studies et les Subaltern Studies, invitent par exemple à ne pas construire de catégories a priori mais à les faire émerger des situations sociales, évitant ainsi de plaquer des catégories issues de la recherche sur les pays du Nord. Que faire alors de l’intersectionnalité, très présente dans les travaux anglo-saxons, dont certains usages tendent à utiliser des catégories pré-construites ? Nous pourrons également discuter du relatif abandon de la classe sociale, aujourd’hui remplacée par la notion de “niveau de vie”, ou dans des traditions plus anglo-saxonnes par la notion de “race”.
Organisation
Cette journée d’étude prend la suite d’une première journée tenue les 9-10 novembre 2017, consacrée à des présentations croisées de membres de la F3S qui ont précisé leur ancrage disciplinaire et leurs dettes théoriques afin d’amorcer les discussions. Il s’agira d’approfondir certaines des questions transversales aux objets et aux disciplines (anthropologie, démographie, histoire, sciences du langage, sociologie) qui ont émergé de cette première journée.
Résumés des interventions
Ubuntu translanguaging: a viable alternative framework for multilingual education and literacies
Leketi Makalela
Recent research on multilingual education has critiqued ways of knowing that are conceived from what is conventionally referred to as the “global North”. In particular research is replete with the findings that monolingual bias, also seen in international assessment tools such as EGRA, has invariably put multilingual students at the risk of failure, educational disadvantage, and limited access to civic opportunities beyond schooling. Despite the chorus of discontent and the expressed desire to transform literacy and education systems in the global South through locally grounded epistemologies, there are very few attempts, if any, to re-theorize literacy and develop models for programmatic scaling of good practices in these countries. In this paper, I present an alternative framework for literacy theory and practice, which is based on the African value system of Ubuntu. Understood from the notion of “I am because you are”, this model critiques the ideals of oneness ideology that have, since the European Enlightenment Period, favoured sequential and linear models used in education systems worldwide. Ubuntu translanguaging, valorizes versatile, mobile and fluid interactions between languages and literacies. It shows that language literacies are bound in an infinite relation of dependency where there is a constant disruption of orderliness and simultaneous recreation of new discursive resources in the complex process of meaning making. I argue that ubuntu translanguaging (multilanguaging) offers both epistemological and ontological relief for reading literacy classrooms for children who are wired multilingually. Taken together, from Ubuntu one derives the social nature of literacy that no one language/literacy is complete without the other and a heuristic upon which literacy practices can be anchored. In the end, practical applications are considered for adaptation in comparable contexts.
« Grounded theory » dans une recherche sur la reproduction sociale par le capital culturel : un exemple de mobilisation de catégories issues du terrain dans l’analyse des trajectoires scolaires des étudiants maliens en France et au Maroc
Niandou Touré
Notre recherche doctorale a consisté en l’analyse de la dimension sociale de la mobilité pour études des Maliens en France et au Maroc. Face à un système d’enseignement supérieur à l’offre pédagogique et aux capacités d’accueil limitées, nombre d’étudiants maliens voient dans la mobilité internationale une ressource propice à leur trajectoire universitaire. En outre, ceux qui partent perpétuent une pratique de formation à l’étranger consubstantielle à la formation des élites maliennes au XXe siècle. La thèse interroge la manière dont la mobilité internationale pour formation participe d’une stratégie de mobilité sociale. Elle démontre comment les inégalités du champ scolaire malien, fondées sur les disparités de capitaux économique, culturel et social, façonnent les inégalités d’accès à la mobilité. L’étude sociologique des modalités de reproduction sociale dans le contexte social malien a nécessité la construction de catégories endogènes qu’ont rendu nécessaires les limites d’une grille d’analyse bourdieusienne éloignée des réalités africaines de ce XXIe siècle.
Cette communication vise à présenter une typologie des parcours de mobilité que nous avons construite en nous inspirant de travaux antérieurs réalisés dans d’autres contextes socioculturels (Gérard & Proteau, 2008 ; Marchandise, 2013). En fonction des capitaux de mobilité dont disposent les étudiants maliens en mobilité, capitaux qui sont fonction de la situation socioéconomique de leurs parents, nous distinguons quatre catégories d’étudiants : les faama-dewn, les waritigi-denw, les donnikɛla-denw et les mogɔtigi-denw. Ces différentes catégories, puisées dans des expressions de la langue bambara, renvoient d’abord aux méthodes de présentation de soi et de désignation des autres, telles qu’employées par les étudiants eux-mêmes. Le choix du bambara, langue véhiculaire dominante au Mali, découle, lui aussi, des pratiques observées sur le terrain où les étudiants maliens, en France comme au Maroc, échangent essentiellement dans cette langue. Les termes « faama », « waritigi », « donnikɛla » et « mogɔtigi» comportent une richesse heuristique que justifie leur usage dans la recherche en linguistique et plus globalement dans la production des sciences sociales sur les sociétés maliennes. Le suffixe « denw » (singulier : den), présent dans les quatre catégories d’origine sociale, correspond à la traduction de « fils (filles) de/ enfants de » au pluriel. Cette structure syntaxique des dénominations des quatre catégories suggère l’importance de l’origine familiale dans le contexte social malien.
La catégorie des faama-denw, « enfants de chefs », regroupe les étudiants issus de familles cumulant de forts capitaux scolaire et économique. Leurs parents sont généralement hauts fonctionnaires ou cadres du secteur privé. Les waritigi-denw, littéralement « enfants de ceux qui possèdent de l’argent », sont issus des catégories économiquement aisées, mais dont le niveau scolaire moyen n’est pas nécessairement important : hommes d’affaires, grands commerçants, grands exploitants agricoles. Quant aux donnikɛla-denw, « ceux qui savent, ou ceux qui exercent une activité en lien avec les savoirs », ce sont fréquemment les enfants d’enseignants, de médecins, de vétérinaires de la fonction publique, ou de cadres intermédiaires de la fonction publique (sous-officiers de l’armée ou de la police, secrétaires, etc.). Les mogɔtigi-denw, enfin, correspondent au groupe des étudiants généralement issus des couches sociales les plus défavorisées, mais à qui il reste encore « de la mogɔtigiya », de l’entregent (Vuarin, 1994), un solide réseau de relations sociales, dont les plus étendues relèvent parfois de « liens faibles » et cependant indispensables (Granovetter, 1973).
Nous expliquons comment, au cours de la réflexion, il est apparu indispensable de recourir à des outils théoriques et méthodologiques qui dépassent et complètent les ressources dont nous nous étions munis, car celles-ci provenaient d’un contexte social, culturel et spatial très éloigné de notre terrain de recherche.