22 novembre 2024
Regards Critiques sur le Développement
Centre des colloques du Campus Condorcet, Aubervilliers
Salles: auditorium 150, salles 100 et 3.01 et foyer du centre de colloques
En partie retransmis / en hybride
Les journées doctorales « Regards critiques sur le développement » (JDrcD) visent à promouvoir les synergies entre les jeunes chercheur·e·s (docteur·e·s, doctorant·e·s et masterant·e·s) en sciences humaines et sociales contribuant à la recherche critique sur le développement, à l’étude des politiques et des institutions qui prétendent l’incarner et le mettre en pratique, et leurs fondements idéologiques, dans les Nords comme dans les Suds. Elles visent à faire dialoguer les travaux venant de différentes disciplines (anthropologie, économie, géographie, science politique, sociologie, psychologie…), dans la mesure où le développement est un fait social total.
Après deux premières éditions très riches, l’initiative se pérennise en 2024 avec une troisième édition. La singularité du projet réside dans son format, entre conférences plénières, sessions de présentation des travaux de jeunes chercheur·e·s, et ateliers pour échanger sur les défis et les difficultés qui traversent la recherche, concernant l’enquête de terrain, l’écriture, les stratégies de valorisation des travaux ainsi que l’après-thèse. L’événement garde par ailleurs une dimension résolument internationale, en favorisant les échanges Nords-Suds avec la participation de chercheur·e·s étrangers aux conférences plénières, et en permettant, dans la mesure du possible, à des jeunes chercheur·e·s des Suds de présenter leurs travaux.
Les trois grands objectifs des JDrcD sont toujours les suivants :
- Échanger sur les enjeux et les défis transversaux et épistémologiques de la recherche sur le développement au cours de conférences plénières. La co-organisation d’une conférence avec l’EADI annonce un programme riche dont l’annonce viendra au courant de l’année.
- Valoriser les travaux et les résultats du travail académique des jeunes chercheur·euse·s lors de sessions thématiques (jeunes docteur·e·s, doctorant·e·s et masterant·e·s), quel que soit l’état d’avancement de leurs travaux.
- Mieux comprendre la diversité des façons de faire de la recherche ainsi que des perspectives professionnelles, à travers les ateliers.
Cadrage thématique
Conflits et développement : Regards croisés et analyse critique
Ces dernières années ont été marquées par des tensions géopolitiques croissantes au niveau international. Les territoires nationaux ne sont pas non plus épargnés par cette actualité, avec des conflits armés internes de nature et d’intensité variables, allant des guerres civiles à la militarisation des pays dans le cadre de « guerres » contre des groupuscules tels que les narcotrafiquants. Ces situations engendrent alors des dégradations des conditions de vie, pouvant aller jusqu’à provoquer des crises humanitaires, dont les conséquences sont aussi bien sociales, politiques, économiques que psychiques (Debos, 2011; Leander, 2005; Blattman et al., 2009; Butler, 2010). Au niveau local également de nombreux conflits sont recensés. Ils peuvent opposer des villages ou des membres d’une communauté, en particulier autour de l’accès au foncier, et ne sont pas épargnés par les situations de violence (Fautras, 2015; M’munga Assumani, 2020). Mais ils peuvent aussi prendre la forme de mobilisations sociales, et s’exprimer davantage par des voies juridiques que par la violence physique. Quelle que soit leur nature, les conflits sont susceptibles d’affecter les sociétés à tous les niveaux, et même les individus, dans leur identité et intériorité, et leurs rapports aux autres.
Défini généralement par les sciences humaines et sociales comme une « situation relationnelle structurée autour d’un antagonisme » (Cattaruzza et al., 2011), ou comme la « relation entre plusieurs personnes ou plusieurs groupes qui poursuivent des buts incompatibles » (Derriennic, 2001), l’explosion d’un conflit interroge donc inévitablement le développement.
Au cours des journées, nous proposons d’explorer trois dimensions des interactions entre conflits et développement : (1) le nexus sécurité-développement, (2) les conflits conséquents aux politiques de développement, et enfin, (3) la temporalité et l’échelle des conflits.
Axe 1. Le nexus sécurité-développement
Pour les organisations internationales et les pouvoirs publics, le conflit est un frein au développement dans la mesure où il est susceptible d’entraver la mise en œuvre des politiques. De ce point de vue, le conflit est l’expression d’un dysfonctionnement, qu’il convient de désamorcer et de résoudre (UNDP, 2012). En retour, les politiques de développement sont évaluées par les bailleurs internationaux et les ONG en fonction de leur contribution à la stabilité des territoires (Tschirgi, 2006). La paix serait ainsi le résultat d’un cercle vertueux de libéralisation du marché, de développement économique et la démocratisation des sociétés (Grajales, 2021).
Les conflits contemporains se déploient majoritairement dans des territoires « en développement », généralement vulnérables et plus spécifiquement au niveau infranational. Ce constat nous permet d’interroger les conflits en se focalisant non seulement sur leur moment d’explosion, mais également sur les acteurs et les contextes dans lesquels ils prennent forme. Une approche significative dans ce cadre est l’exploration de l’interaction entre conflits armés et développement, englobant le nexus complexe de la « sécurité-développement » (Leboeuf, 2006). Cette dynamique soulève des questions cruciales, notamment à la lumière de situations comme celles observées au Sahel (Bouju, 2020), en Afghanistan, et d’autres contextes dans lesquels on peut retrouver des dynamiques similaires.
Les inégalités et l’instabilité, liées aux processus de développement, émergent comme des éléments fondamentaux conduisant à l’explosion des affrontements à grande échelle. La montée de l’extrémisme au Sahel, les guérillas organisées en Amérique latine, la guerre en Syrie (Huët, 2015) entre autres exemples, constituent des manifestations directes de ces inégalités et instabilités, qui s’expriment dans l’accès aux ressources et les (im)possibilités de participation politique, et s’inscrivent dans la durée, aboutissant à l’explosion de conflits internes (CEA, 2017).
La violence, les crises humanitaires et les flux migratoires conséquents aux guerres, notamment civiles, sont par ailleurs source de traumatisme pour les populations qui restent comme pour ceux qui partent (Douville, 2018). Comment réfléchir les relations entre le l’individu et le groupe dans des contextes de conflits ? Comment penser, par ailleurs, les dynamiques de genre dans ces contextes, les femmes et les hommes pouvant être affectés différemment par les conflits et jouent des rôles variés dans les processus de développement ?
Axe 2. Les conflits conséquents aux politiques de développement
Mais les conflits peuvent aussi être plus directement induits par les politiques de développement. À rebours d’une conception dysfonctionnelle des conflits, force est de constater que de nombre d’entre eux découlent en effet des politiques de développement, qu’ils remettent en question. Tout d’abord, les mobilisations protestataires contre certaines politiques, de plus en plus extractivistes, et plus spécifiquement contre certains projets de développement, ont tout particulièrement suscité l’intérêt des chercheurs (Bebbington, 2011; Svampa et al., 2015). Des travaux se sont intéressés aux conflits socio-environnementaux (Charlier, 1999; Webber, 2008), aux conflits d’usage ou encore d’aménagement (Lecourt, 2003; Subra, 2016), en prêtant une attention particulière à l’identification des acteurs impliqués et leurs territorialités (Svampa, 2018). De plus, d’autres travaux ont montré comment le caractère répressif de l’autorité à l’encontre des mouvements sociaux n’agit pas uniquement sur le choix du répertoire d’action collective, mais aussi sur les pratiques des militants, son organisation, parfois sur la radicalisation du mouvement (Combes et al., 2011). Ces différentes configurations sociales engendrent une conflictualité et rompt le tissu social du groupe résidant à proximité des projets. Cette perturbation se manifeste souvent par une ouvriérisation de la population (Buu-Sao, 2019), où le changement fréquent des activités et des relations sociales paysannes vers une dynamique ouvrière perturbe les rapports sociaux du groupe impliqué. Enfin, différents travaux en sciences sociales ont examiné les résistances quotidiennes et le soutien de la population locale envers les projets de développement (Allain, 2020; Buu-Sao, 2013; Lebeaupin-Salamon, 2022; Poupeau et al., 2018). Comment comprendre alors ces différentes dynamiques ?
Ce deuxième axe se consacre aux mobilisations autour des projets de développement, examinant l’acceptabilité sociale de ces projets ainsi que les conflits qu’ils suscitent et leur gestion. La gestion de ces conflits implique divers acteurs, qu’ils soient publics ou privés, notamment les entreprises (Buu-Sao, 2023). Cette approche soulève des questions sur les mécanismes déployés pour minimiser les résistances et traiter les conflits potentiels. Comment les acteurs impliqués influencent-ils la perception publique et atténuent-ils les tensions à travers le façonnement des récits et des discours ? Comment les groupes sociaux dominés s’adaptent-ils aux projets de développement et justifient-ils leur présence sur leur territoire ? Ces conflits remettent-ils en cause les politiques de développement, et comment parviennent-ils à infléchir ces politiques ? Quels sont les résultats de ces conflits ? Ils peuvent, dans cette optique, constituer un point de rupture et contribuer à la transformation des normes, des pratiques, des représentations et, en fin de compte, des territoires.
Axe 3. La temporalité et les échelles des conflits
Une question transversale émerge quand on analyse les deux principales formes de conflits évoquées dans les axes précédents : la temporalité et les échelles d’expression, qui ne sont pas figés et qui interrogent le passage de conflits locaux à des conflits d’ampleur.
D’un côté, on assiste dans certaines régions à des successions de conflits de différentes nature, s’exprimant à différentes échelles. Ces conflits sont généralement appréhendés de manière déconnectée, mais des travaux ont exploré leur articulation et l’enchâssement d’enjeux, en particulier des formes d’interdépendance entre les conflits fonciers et les confrontations armées (Chauveau et al., 2020), par ailleurs renforcés par des dynamiques migratoires (Chauveau, 2017).
D’un autre côté, un conflit peut également s’exprimer différemment dans le temps. Il est susceptible de se transformer et d’alterner des périodes d’accalmie et de résurgence (Léonard et al., 2022). C’est le cas notamment des conflits qui prennent pour cible les politiques de développement. Les antagonismes génèrent souvent un intérêt pour les chercheurs une fois que les collectifs mobilisés se sont alliés à des acteurs transnationaux, leur permettant alors d’accéder à des ressources internationales qu’ils peuvent adapter aux besoins de l’action locale (Allain, 2019). Amplifiées sur les réseaux sociaux numériques, certains de ces rapports contestataires sont mondialisés, comme le mouvement altermondialiste (Dufour, 2013), agissant en réseau, mais avec des configurations locales spécifiques du contexte. Des luttes peuvent alors être amenées à converger, comme le rôle des femmes subalternes dans la protection de l’environnement (Hillenkamp, 2021). Ces contestations ont le pouvoir de remettre en question les rapports de domination conventionnels entre les hommes, les femmes et la nature, pouvant ainsi devenir des catalyseurs de transformations normatives, pratiques et territoriales.
Ces alliances stratégiques entre des acteurs locaux et des acteurs visibles sur les scènes nationales, voire internationales, et les stratégies adoptées dans des contextes parfois contraignants, posent la question de l’origine des conflits, de leur explosion et de leur processus de reconfiguration au cours des mobilisations. Les questionnements relatifs à la transformation des conflits et leurs formes de transfert ouvrent par ailleurs la voie à un renouvellement des cadres d’analyse. Comment les cadres conceptuels existants peuvent-ils être repensés pour mieux saisir les complexités des conflits liés au développement ? Les contributions qui interrogent les possibilités de circulation des notions et des approches entre les disciplines seront particulièrement appréciées. Penser la temporalité des conflits est aussi l’occasion de penser leur “productivité” (Melé, 2013) et “l’après conflit” (Daho, 2015; Foucher, 2007). Qu’est-ce que les conflits font aux territoires et aux politiques de développement ?